"Grizzly Man" : l'homme qui a vu les ours et que les ours ont mangé (2024)

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  • Cinéma

Timothy Treadwell a tenté de vivre avec les ours, en Alaska. Jusqu'à ce que l'un d'entre eux le dévore. Le réalisateur Werner Herzog lui consacre un documentaire.

ParJean-François Rauger

Publié le 06 décembre 2005 à 14h31, modifié le 06 décembre 2005 à 14h31

Temps de Lecture 3 min.

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Lorsque les lumières se rallument, après la projection de Grizzly Man, le sentiment qui s'est installé est une certaine perplexité un peu hilare. Ce qui s'impose d'abord au spectateur, c'est un doute, tenace et insaisissable à la fois, sur la véracité de ce que le nouveau film de Werner Herzog a montré et qui s'est présenté avec toute la rhétorique du documentaire. Car Grizzly Man raconte une aventure à la fois étonnante et dérisoire. Le ridicule y côtoie le grandiose avec une telle évidence que la tentation est forte de voir dans cet objet filmique une forme de canular. On se pince, on ricane plus d'une fois au cours de la vision du film. Mais c'est que, parfois, la réalité est grotesque, et c'est au cinéma aussi d'en témoigner et d'en tirer des leçons qui interrogeraient sa propre nature.

C'est un jeune homme blond, accroupi face à la caméra. A quelques mètres, un ours brun, massif, batifole. Le jeune homme parle. Il désigne l'ours par un nom ("C'est Rowdy !") et décrit son amour des plantigrades et l'attitude qu'il convient d'avoir face à eux ("Etre un gentil guerrier"). Un sous-titre donne le nom de ce personnage téméraire (Timothy Treadwell) et les dates d'une existence qui s'est achevée en 2003. Immédiatement après cette entrée en matière, c'est la voix de Werner Herzog qui précise que Treadwell est effectivement mort en octobre 2003, dévoré avec sa compagne par un de ces ours qu'il essayait de protéger et dont, tous les étés, il tentait de partager l'habitat. Le film d'Herzog est donc d'abord un portrait de ce personnage extraordinaire, composé à la fois d'entretiens faits par le cinéaste allemand et aussi d'images vidéo, filmées tous les ans par Treadwell lui-même au cours de ses séjours (plus d'une douzaine) dans un parc naturel, en Alaska.

ÉCOLOGIE ILLUMINÉE

L'homme avait acquis une petite notoriété, multipliait les conférences dans les écoles sur la vie des grizzlys lorsqu'il n'était pas parmi eux. La tentative de dépeindre un tel personnage se nourrit ainsi de l'emboîtement de différentes visions. Entre l'autoportrait involontaire de Treadwell et le recul analytique d'Herzog se construit un regard qui embrasse une réalité large, multiple, vertigineusem*nt polymorphe, à la fois tragique et risible.

Grizzly Man est tout d'abord la peinture d'une forme d'écologie radicale, illuminée, détachée des exigences de la réalité. L'aventure de Treadwell ressemble à une fuite de la civilisation, une recherche d'un univers préservé des hommes. Mais en se mettant en scène, l'homme se faisait aussi entrepreneur de spectacle, cinéaste animalier, histrion infantile. Le doute qui pèse ainsi sur la véracité des événements décrits est la conséquence d'une plongée au coeur d'un monde où la fiction et la réalité sont désormais indissociables l'une de l'autre, un univers où tout est spectacle.

D'abord parce que l'histoire de Treadwell contient sa part d'imposture (l'homme s'est fait passer pour un Australien sans famille alors que ses parents vivent près de New York), mais aussi parce que sa vie ressemble à un médiocre scénario de rédemption individuelle. Ancien surfeur drogué, candidat malheureux à une carrière à Hollywood, Treadwell aura trouvé sa voie, et un sens à sa vie (c'est en tout cas comme cela qu'il le présente) dans la cohabitation avec les animaux sauvages. Les témoins interrogés ressemblent à des caricatures, paraissent eux-mêmes surjouer (le médecin légiste qui a identifié les restes de Treadwell semble sorti d'une série B d'épouvante). Les indices abondent, au-delà du caractère extraordinaire de l'aventure, qui témoignent d'une contamination du réel par un double souvent burlesque de celui-ci, par le cinéma lui-même.

Surplombant ces images, il y a la voix d'Herzog saluant en Treadwell un authentique cinéaste qui, avec sa caméra vidéo, a parfois réussi à capter l'impossible (les accidents de la vie sauvage), mais le désignant aussi comme un naïf croyant trouver dans la nature une harmonie perdue alors que n'y règnent que le chaos, le meurtre et l'indifférence absolue. On voit bien ainsi ce qui a pu captiver l'auteur de Fitzcarraldo : la découverte d'un fou jetant un impossible défi à l'ordre des choses, un orgueilleux qui s'est lancé dans un pari prométhéen, un aventurier de l'impossible, guidé par une obsession qui aurait abattu toutes les barrières posées par la simple réalité. Cet écologiste exalté est une version dérisoire, cruellement cocasse, des mégalomanes qui peuplent l'oeuvre d'Herzog, entre Aguirre, Fitzcarraldo, Nosferatu ou Hanussen, un enfant délirant, prisonnier d'un monde qu'il s'est construit lui-même et qui le détruira lorsque ceux auxquels il s'intéresse verront en lui, simplement, un repas à portée de griffes.

Film américain de Werner Herzog. (1 h 43.)

Jean-François Rauger

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